Êtes-vous chasseur ou gardien ? L’histoire d’un peuple ancestral appliquée à nos organisations.

Les Bochimans, aussi appelés Kun ou San, sont un peuple indigène du sud de l’Afrique qui serait l’une des plus vieilles ethnies du monde. Des évidences génétiques laissent supposer que leurs ancêtres seraient en fait nos ancêtres communs desquels chaque humain pourrait tracer son hérédité ; des « Adam génétiques » en quelque sorte. Les Bochimans d’aujourd’hui sont donc les héritiers d’une très, très longue histoire.

Les Bochimans ont toujours vécu selon le mode de vie des chasseurs-cueilleurs, se déplaçant en fonction des pluies pour se nourrir de fruits, de racines et de gibier. Mais des changements survenus au cours de 50 dernières années menacent leur survie. Ils ont cessé d’être nomades pour devenir gardiens de troupeaux. Et c’est en ça que leur histoire est aussi notre histoire.

Nos organisations se développent souvent selon ce modèle. Nous commençons comme chasseurs et entrepreneurs, puis, avec le succès, nous devenons gardiens.

Les chasseurs: des nomades qui font équipe et qui communiquent

En tant que chasseurs, les Bochimans travaillent en petites équipes qui ratissent les territoires de chasse. Lorsqu’un groupe réussit à prendre du gibier, il le partage avec tous. Le propriétaire de l’animal n’est pas celui qui l’a tué, mais celui qui a fabriqué la flèche. Il n’y a pas de hiérarchie chez les Bochimans. Le leadership dépend de la situation et de celui qui a les meilleures habiletés pour y répondre. Les femmes et les hommes ont des rôles différents, mais égaux.

Les Bochimans sont aussi d’excellents communicateurs. Les quelques huttes de leurs petits campements en forme de cercle sont tournées vers le centre. Tous peuvent donc se voir en tout temps. Leurs possessions sont communes. Quand un membre de la tribu reçoit un cadeau, il doit en donner un en échange. Cela assure que tout est continuellement partagé par tous.

Les Bochimans ne se tuent pas à l’ouvrage. Ils travaillent quatre ou cinq heures par jour et passent le reste du temps à se parler. Ils créent une vision où les animaux peuvent être présents, où ils étaient la dernière fois et où ils vont les trouver cette fois-ci. Ils n’ont pas de stratégie établie par une seule personne, car tous sont continuellement en conversation en groupe. Ils célèbrent collectivement les mythes qui expliquent tout dans leur univers, d’où viennent les choses et à quoi elles servent. Tout a un sens pour les Bochimans.

Le mode d’organisation chasseur est possiblement le meilleur mode d’organisation agile qui soit. Les chasseurs ont survécu à l’ère glaciaire, aux volcans, aux tremblements de terre…c’est une façon de fonctionner très flexible et efficace.

Les gardiens: des sédentaires isolés

Mais ce mode de vie a énormément changé au cours des dernières décennies. Parce que leurs territoires de chasse ont été considérablement réduits par la croissance des villes, les Bochimans sont devenus sédentaires. S’étant installés à un endroit de façon permanente, leurs campements sont beaucoup plus grands qu’avant. Leurs huttes sont plus nombreuses, plus grandes et plus éloignées les unes des autres. Parce qu’ils ont des possessions, certaines huttes sont clôturées et ne font plus face au cercle. Les maisons se font dos, les fours sont maintenant situés à l’intérieur et les gens ne se voient plus sans faire d’efforts. C’est l’image d’une société où les gens ont cessé de se parler. Ils n’entretiennent plus le dialogue qui leur permet de comprendre où ils étaient, où ils sont et où ils veulent aller. Ils ne prennent plus de décisions mais ils choisissent un chef à qui ils demandent de les prendre à leur place. Ils ont perdu le contrôle de leur vie.

Ce phénomène de transformation du mode chasseur au mode gardien se produit non seulement chez les Bochimans, mais partout sur la planète et les anthropologues se sont demandé pourquoi. Ils ont pensé que c’était parce que les fermiers et les gardiens mangeaient mieux que les chasseurs et qu’ils avaient donc de meilleures chances de survie. Mais ils ont plutôt constaté que les chasseurs ont une alimentation plus riche et plus variée. S’il survient une sécheresse, les gardiens perdent récoltes et bétail. Les chasseurs eux, peuvent se déplacer. La plupart des enfants Bochimans devenus gardiens montrent d’ailleurs des signes évidents de malnutrition.

Quand les Bochimans n’avaient rien, ils partageaient tout. Quand ils ont eu des possessions, ils ont voulu les garder. Ils se sont éloignés les uns des autres, ont mis des clôtures autour de leurs maisons et ont cessé d’échanger.

C’est le réflexe auquel semblent désespérément s’accrocher de nombreuses organisations. Ayant connu le succès, elles veulent le garder. Ce qui donnait du sens à leur création s’est perdu dans la réussite. Cette culture de chasseur, ouverte, intime, flexible, où tout est possible, a fait place à une culture de gardien où règnent l’isolement, le cloisonnement, la rigidité, la hiérarchie.

Mais dans cette période difficile de changement et de transformation, beaucoup d’organisations avec lesquelles nous travaillons réalisent l’importance de revenir aux sources et de communiquer avec leurs équipes pour redonner du sens aux actions.

Elles reviennent sur leurs fondements, rappellent leurs valeurs et renforcent la culture qui leur a permis de traverser le temps. Elles racontent leur histoire en disant d’où elles viennent, où elles sont rendues et où elles veulent aller. Elles rappellent à leurs collaborateurs que, de tout temps, les choses ont changé et que ce qui arrive aujourd’hui n’est qu’un autre changement avec lequel ils sauront composer. Comme tant d’autres bouleversements dans leur histoire, celui-ci aussi passera.

En temps de crise, notre tendance est d’être gardien pour conserver nos acquis. Les organisations qui réussissent savent que ce qui détermine leur succès n’est pas ce qu’elles ont, mais dans la culture qui leur a permis de l’obtenir.

En ces temps de changements, êtes-vous davantage chasseur ou gardien?

Auteur : Jocelyn Pinet, co-fondateur de Vision d’Or